Contexte

Organisé par l’INRA, le séminaire du 28 novembre 2019 a été un temps fort parmi toutes les rencontres sur l’alimentation qui se multiplient ces dernières années. Avec des échanges ouverts à des acteurs du secteur (associations, collectivités, institutions publiques…), les chercheurs de l’INRA ont restitué leur programme pluri-disciplinaire de recherche sur la dynamique nationale de reterritorialisation. Des contenus très denses, 200 participants et plus de 300 inscrits en liste d’attente qui ont pu suivre la conférence en streaming. Nous en retraçons ici 5 messages clés.

Messages clés

Aller vers la subsidiarité

Les acteurs du secteur soulignent l’importance de la subsidiarité alimentaire (substituer un système, une échelle ou un mode de production à un(e) autre) plutôt que l’autonomie alimentaire. Ce résultat repose sur l’analyse de la perception des acteurs à travers 170 entretiens qualitatifs (têtes de réseau, citoyens, acteurs économiques, etc.). Très peu d’acteurs avancent l’idée de se nourrir exclusivement en circuits courts. La tendance actuelle est donc perçue comme un rééquilibrage.

Travailler sur les risques et limites

Les démarches de reterritorialisation se heurtent à plusieurs risques, notamment celui de définir un périmètre dit « local » inadapté aux objectifs à atteindre en termes de volumes et variétés des produits ou encore de développer un projet passant à côté d’acteurs clés comme les agriculteurs avec une prise en compte de l’installation de nouveaux agriculteurs qui est souvent symbolique plutôt qu’opérationnelle ou encore comme les MIN, insuffisamment connu et pénalisé par une image négative de leur activité, ou enfin un manque de coordination à une échelle territoriale large, chacun voulant une légumerie, aboutissant à des projets ainsi concurrents et fragilisé dans leur équilibre économique futur.

Créer un observatoire vivant de l’alimentation de proximité

Le programme a amené une large collecte de données sur les indicateurs d’une dynamique de reterritorialisation, de la production à la consommation. Une base de données a été produite en agrégeant des sources (exemple : cartographies des Amap, des ruches, des jardins de cocagnes, des marchés de plein vent, des magasins de producteurs…) et réaliser ainsi une typologie d’initiatives.
A terme l’objectif est de créer un observatoire ouvert et participatif : des consommateurs aux chercheurs en passant par les décideurs pour connaitre l’évolution sur les territoires. La gouvernance en serait partagée avec une actualisation participative par un ensemble d’acteurs regroupés au sein du Réseau Mixte Technologique alimentation locale.

Cerner les filières territoriales dans leur hétérogénéité

Dans la filière blé tendre et blé dur, du paysan boulanger aux coopératives de meuniers, du travail spécifique sur les levains à la recherche de nouvelles méthodes de pétrissage, le secteur est marqué par une diversification des acteurs par cette reterritorialisation.
Les chercheurs en concluent que la réponse aux indicateurs de durabilité suppose une reterritorialisation, condition nécessaire, mais non suffisante. Ce résultat est complété par une étude ACV (Analyse de Cycle de Vie) qui évalue l’impact environnemental de la filière pain en comparant la filière conventionnelle et la filière paysanne. Cette approche met en évidence des résultats contrastés avec des atouts de durabilité différents par exemple : l’impact important de la filière conventionnelle sur les déplacements du consommateur contre un impact de la filière paysan sur la livraison vers les commerces. Là aussi, en raison d’une grande variété de pratiques des paysans boulangers, l’étude aboutit à une grande variabilité des résultats. Le travail sur l’impact des filières reterritorialisées suppose donc une approche multi critères pour cerner cette variété.

Cerner les liens entre pratiques d’achats et environnements alimentaires

Le mouvement de reterritorialisation amène de nouvelles interfaces entre habitants et alimentation. Quel en est l’impact en termes de changement de pratiques de consommation alimentaire ? Qu’il s’agisse des outils numériques (etiquettable, yuka…), des commerces ou des jardins familiaux, il se dégage une évolution, avérée ou à informer, en termes de sensibilisation, d’outils d’aide à la décision, d’acquisition de savoirs, de processus d’apprentissage, de routinisation des changements. L’enjeu transversal est de voir la consommation comme un pouvoir d’agir et d’en connaître les leviers.
Les travaux de l’anthropologie classique, notamment ceux de Levi-strauss qui affirmait que « pour qu’un produit soit bon à manger il faut qu’il soit bon à penser », gagneront à être ré-explorés sous cet angle.

Points de conclusion/ouverture

Deux points clés à noter comme points de vigilance et réflexion :

  • Quelles sont les nouvelles inégalités autour de ce mouvement de reterritorialisation ? De nouvelles zones d’inégalités à l’échelle des territoires où des concurrences peuvent se développer entre spécialisations et capacités de productions alimentaires, mais aussi entre citoyens, peuvent se développer : 11 % de la population française est en insécurité alimentaire pour des raisons économiques. Quel est leur accès à cette dynamique en cours ?
  • Comment tracer un chemin de transition viable et avéré dans une évolution en pleine expérimentation et diversification ? Cette dynamique est difficile à saisir du fait de la volonté inhérente à ses acteurs d’échapper aux standardisations. Avec un manque de diffusion des résultats validés des recherches et des travaux en cours, il est important pour les opérateurs de rester vigilants et de ne pas se suffire d’intuitions reposants sur des mythes tenaces : le croisement du slogan « small is beautiful » avec le « think global act local » aboutit à « local and small is beautiful », mais « beautifull » pour qui et sur quels aspects ? Sociaux, environnementaux, économiques ? Chercheurs, opérateurs et accompagnateurs ont intérêt à travailler ensemble dans ce mouvement en élaboration.

Télécharger en PDF